Le 30 avril 2010, Christian Vanneste, le fameux député du Nord, s'est fendu d'un billet à propos des déboires de l'Église Catholique, embourbée dans un nombre important d'affaires de pédophilie (qui reste anecdotique par rapport à la masse du clergé).
Il
utilise en fait cette problématique, comme l'on pouvait s'y attendre,
pour charger une fois de plus l'homosexualité, et ce dès la première
ligne de sa prose : « l’atelier sémantique gay a inventé la prise de
judo conceptuelle la plus efficace : la pédophilie est un crime.
L’homosexualité une vertu. » Présentée de manière anodine, cette
introduction est parfaitement sinistre. Car le député associe d'entrée
de jeu l'homosexualité à la pédophilie, comme si leur nature était intrinsèquement identique
et que seules des considérations linguistiques les séparaient,
inventées, de plus, par une certaine communauté homosexuelle désireuse
de mystifier la population. D'une audace stupéfiante de mépris et de
déconsidération ! Heureusement, ce postulat inexact remet d'entrée de
jeu en question l'argumentation à venir du député, d'une part car il
n'existe aucune statistique signifiant que les jeunes garçons sont plus
ciblés que les jeunes filles par les pédocriminels (à part les
affirmations de l'Église, sur lesquelles nous reviendrons par la suite),
et d'autre part car la physiologie d'un enfant est fondamentalement
différente de celle d'un adulte, et ne permet donc pas d'établir un lien
entre le sexe des enfants agressés et les préférences sexuelles des
agresseurs : l'attirance qu'ils éprouvent est ailleurs que dans la
masculinité ou féminité de leurs victimes, car elle n'est pas construite
à ces âges. Mais l'auteur lie homosexualité et pédophilie avant même
d'entrer dans le vif du sujet et d'essayer de démontrer leur proximité, ce qui marque clairement son absence d'objectivité et invalide déjà la forme de son raisonnement puisque qu'il présente d'abracadabrantes vérités comme établies avant de commencer.
Mais
penchons-nous sur le fond. Il introduit la notion d'éphébophilie, «
l’attirance des hommes pour les adolescents pubères mais ambigus de
traits ». Mais il précise qu'elle « ne commence ni ne s’arrête à 15
ans », ne cachant guère que cette distinction sémantique n'est en fait
qu'un artifice pour parler à nouveau de pédophilie, puisque les enfants
de moins de 15 ans sont également concernés. Et d'après lui, l'homosexualité y serait liée par essence,
ce que prouverait la confusion permanente qui règne entre les deux.
C'est encore une fois une affirmation grossière, présentée comme une
vérité par son auteur alors que l'argument est parfaitement fallacieux :
l'«art et la littérature» le justifieraient, et le lecteur est prié d'y
croire sur parole. N'attendez pas de lui qu'il évoque Pierre de Ronsard
et son « Mignonne » dédié à Cassandre alors âgée de 13 ans, Vladimir
Nabokov et son « Lolita » dans lequel il décrit sa relation avec une
jeune fille de 12 ans, Christian Vanneste se contente de généraliser des références qu'il ne prend pas la peine de citer. Il manque malheureusement d'honnêteté intellectuelle tant l'argument pourrait être appliqué à l'identique
à l'hétérosexualité : aurait-il oublié que l'Église dont il se fait le
porte-parole et dont il défend la conception du mariage autorisait celui-ci, au Moyen-Âge, dès l'âge de 12 ans ? Et on ne parle pas d'art ici, seulement d'Histoire.
Revenons
sur l'argument de l'homosexualité des prêtres mis en causes dans les
affaires qui secouent actuellement l'Église. 90% des cas seraient des
attouchements sur des adolescents plutôt que sur des enfants, et 60% de ces cas auraient été des actes perpétré sur des garçons,
ce qui a naturellement permis à notre député et au cardinal Tarcisio
Bertone (n°2 du Vatican), de dresser immédiatement des conclusions sur la nature éphébophile et donc perverse des homosexuels, et par la même occasion de détourner l'attention des prêtres fautifs sur les gays
- tant qu'à faire, pourquoi ne pas jeter ses sombres squelettes sur les
autres afin de s'en débarrasser ? Pourtant, l'interprétation d'une
donnée brute sans considérer la situation dans son ensemble est
simplement invalide d'un point de vue statistique. Cet écueil de
méthode, particulièrement sournois et captieux, se glisse très
régulièrement dans les propos des opposants à l'homosexualité pour
faire office d'argument d'autorité sur le lecteur (les Chiffres ne mentent pas), alors même qu'il rend en réalité la preuve inepte.
Par exemple, d'après les statistiques du Collectif Féministe contre le Viol, le département du Nord dont vient Mr. Vanneste est après Paris le premier de France en nombre de viols,
avec une avance importance sur la majorité des autres. Alors pourquoi
le député ne conclurait-t-il pas à la perversion intrinsèque des siens ?
Parce que ce serait négliger tout un contexte, à la fois
socio-économique et statistique.
C'est la même chose ici : en ne
donnant aucune indication sur l'exposition des prêtres concernés aux
garçons et aux filles (les enfants de chœur ne comportent des filles que
depuis 1983, et sur autorisation), en taisant le refoulement dramatique
que l'Église a imposé à ceux d'entre eux qui se savaient homosexuels,
et en ne faisant pas la moindre allusion à leur célibat
particulièrement susceptible de créer des frustrations et de susciter
des comportements extrêmes, le député est malhonnête. Il ne présente
aucun de ces éléments car ils n'accréditent évidemment pas la thèse de
l'auteur, et qu'il serait regrettable de manquer une si bonne occasion
de dénoncer l'homosexualité à grands renforts de préjugés, quitte à
mettre son intégrité de côté.
Car les chiffres fournis
par le Vatican ne sont absolument pas cohérents avec les seules
statistiques dont nous disposons en France, celles de la ligne SOS Viols Femmes Informations, qui recueille également les témoignages des hommes. Car les statistiques sont explicites : en 2007, sur 1575 cas de viols de mineurs de 0 à 14 ans, 145 concernaient des garçons, soit moins de 10%. Aucune sur-représentativité,
d'autant plus que nous parlons ici d'enfants auprès desquels
l'orientation sexuelle n'a pas beaucoup de sens pour les raisons
énoncées plus haut : il serait douteux de vouloir rapprocher les
attirances qu'un agresseur peut avoir pour un enfant de moins de 14 ans
et pour un adulte. Mais parlons maintenant d'éphébophilie, car les
statistiques de l'association sont précises : 340 viols signalés ont eu lieu sur des adolescents de 15 à 17 ans, dont 10 concernaient des garçons soit moins de... 3%.
Où se cache l'« éphébophilie » des homosexuels ? La réalité est à des
années-lumières de ce que l'Église dit se passer dans le clergé, qui
devrait d'ailleurs s'inquiéter de sa troublante singularité.
Mais
Christian Vanneste s'improvise sociologue et croit conclure en une
ligne sur un sujet qui pourrait faire l'objet d'une thèse, au renfort
d'un seul chiffre donné par le Vatican en totale contradiction avec les
données disponibles par ailleurs, et en faisant fi de toute analyse.
C'est somme toute assez révélateur de la droiture de sa position, car il
ne fait nulle doute que cet ex-professeur de philosophie connait parfaitement les nombreuses failles de son raisonnement ici mises en lumière, qu'il choisit sciemment d'occulter pour défendre son point de vue radical.
Il
enfonce le clou quelques lignes plus tard, en répétant que la
distinction faite entre homosexualité et pédophilie n'est qu'une «
coupure sémantique à la fois grossière et hypocrite ». Mais cette
affirmation se basant sur des lemmes erronés, l'intégralité de la démonstration s'effondre. En effet, nous n'avons pas à prouver que l'homosexualité n'a rien à voir avec la pédophilie car rien ne permet de le soupçonner, s'agissant d'une idée façonnée par ses adversaires au nom de leurs croyances.
C'est
donc l'inverse qu'il faudrait mettre en évidence, ce à quoi Christian
Vanneste s'essaye en manipulant les sophismes et la duperie avec talent.
Mais on ne façonne pas les vérités avec des arguments trompeurs et des
idées préconçues. Par contre, c'est de cette façon qu'on entretient les
préjugés et qu'on contribue à stigmatiser une catégorie de la
population, procédé aux antipodes des valeurs républicaines qu'il estime
défendre.
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