mercredi 19 décembre 2012

Le 4e bataillon de l'École Spéciale Militaire de Saint-Cyr


Un point crucial de mon passage à la Courtine, qu'il me tient à cœur de mentionner, fut la découverte du rendez-vous des couleurs. En effet, se rassembler pour assister au lever du drapeau et chanter la Marseillaise était un aspect de la vie régimentaire que j'ignorais mais qui me séduisit immédiatement. En bravant le froid, la bise, nous étions toujours fidèles au rendez-vous et cette constance me permit de comprendre l'essence même de l'engagement militaire, perpétuel, ne souffrant aucune dérogation. Je n'avais jamais assisté à une telle manifestation de patriotisme et je m'émus immédiatement.

La veille de notre départ, tous les élèves amenés à se rendre à Coëtquidan furent rassemblés par sections pour se familiariser avec leurs nouveaux cadres. Les sections de La Courtine étaient préservées − dans l'esprit de cohésion qui caractérise si bien l'armée, et je me retrouvai ainsi uni avec mes camarades pour franchir cette nouvelle étape. On nous prodigua quelques conseils ainsi qu'une liste d'objets à nous procurer pour préparer au mieux notre passage au 4e bataillon.
Malheureusement, le capitaine B. vint me trouver le soir-même pour m'annoncer ma radiation de cette section et je me trouvai désemparé, car le capitaine ne connaissait ni les raisons de cette décision ni ma nouvelle affectation, mais savait que je serais désormais séparé de mes amis et seul dans l'adversité.

Le dimanche soir, je me retrouvai donc avec des inconnus. Je comptai au départ demander à réintégrer ma section initiale, mais décidai finalement de me dépasser en repartant de zéro dans un contexte hostile. Commencèrent alors deux mois et demi uniques et inoubliables, remplis d'aventures et de péripéties insondables que je n'aurais pu imaginer quelques mois auparavant.
J'ai rapidement noué des liens avec mes nouveaux camarades que je n'ai pas regretté d'avoir troqué contre ceux de ma section précédente, malgré mon appréhension initiale. Ils se révélèrent effectivement plus amicaux et plus investis dans leur passage aux écoles.
Notre formation commença de manière étonnante avec des cours théoriques un peu nébuleux, donnés par des formateurs manquant parfois légèrement de méthodologie. La présence des saint-cyriens à nos côtés, épuisés par leur bahutage intensif et leurs nuits humides, était pittoresque mais n'incitait pas à l'attention puisqu'ils profitaient de ces intermèdes pour récupérer de leurs trop courtes nuits en y développant la pratique de la sieste. Néanmoins, dans l'ensemble, les notions abordées étaient très clairement exposées et nécessaires à notre apprentissage du commandement. En effet, comment être crédible auprès des soldats du contingent sans être familier avec les bases du métier et du droit ? Comment vouloir être un chef sans être soi-même un modèle, et donc sans apprendre à le devenir ? Les nombreux cours théoriques nous permirent de nous forger une conscience militaire et de faire corps avec les problématiques parfois saisissantes du métier. Le savoir-vivre, le droit des conflits armés, le cadre législatif, autant d'éléments indispensables pour acquérir une solide légitimité. Il était absolument primordial de se familiariser en profondeur et en détails avec le fonctionnement de l'armée, et je regrette que nombre des autres élèves officiers n'ait pas eu la lucidité de comprendre cet impératif. La présentation du parcours des EVAT et des sous-officiers fut un exemple frappant : là où mes camarades et moi prenions des notes pour ne rien manquer des subtilités de leurs complexes carrières, d'autres se permettaient de bayer aux corneilles.
Certaines matières étaient moins adaptées que d'autres au public particulier que nous formions. Il ne fut pas d'une extrême productivité de suivre un cours technique sur le fonctionnement des appareils 4G alors que l'instructeur ne semblait pas comprendre les principes de base d'une communication radio, mais celui-ci fit de son mieux et nous prouva par la même occasion qu'il était possible de devenir formateur en partant de rien, formidable témoignage d'espoir sur les possibilités de reconversion. La discipline des cours nous permit de prendre conscience de la valeur du silence et de l'importance de l'écoute pour témoigner du respect à l'intervenant.

L'omniprésence du sport à rythme soutenu m'a permis de me construire une musculature solide et à l'épreuve des activités proposées. Je suis ainsi devenu, à force de travail et d'entraînement, beaucoup plus à même de tirer ma section vers le haut en devenant de fait « serre-file » à de nombreuses occasions. Sans être un coureur né, j'ai réussi à me dépasser et à atteindre mes limites, en améliorant mes performances respiratoires et physiques. Je suis devenu plus à l'aise en course et en grimper de corde, et sans parvenir à atteindre les sommets de ma section, j'ai tout de même accompli des progrès impressionnants qui m'ont donné grande satisfaction.
D'autre part, la pratique du sport au sein de la section, exigeante mais ludique, nous a permis de renforcer nos liens et de souder notre camaraderie par le refus inconditionnel d'abandonner ceux qui éprouvaient le plus de difficultés. Cette solidarité indéfectible s'est confirmée au cours d'une séance de sport « punitive ». Plusieurs d'entre-nous se sont mis à pleurer de douleur dans l'effort, avant d'être spontanément pris en charge par les autres afin de leur faire comprendre qu'ils étaient capables d'aller plus loin, pour peu qu'ils arrêtent de faire étalage de leur détresse et se concentrent sur l'objectif.
Cet épisode marquant nous a fait réfléchir sur nos capacités et sur l'importance cruciale de la volonté. En effet, ceux qui ne réussirent pas à tenir le rythme éprouvant de cette séance furent justement ceux qui partaient vaincus, adoptaient un état d'esprit défaitiste et se focalisaient sur leur malheur, au lieu de reprendre à leur compte cette chance qui nous était donnée d'aller au bout de nous-mêmes comme je l'ai fait. Car malgré la douleur physique, j'ai décidé de profiter de cette séance pour améliorer encore un peu plus mes capacités, et c'est ainsi que je n'en n'ai absolument pas souffert.

L'importance du mental s'est également révélée sur la piste d'audace, d'abord dans le camp de Coëtquidan puis au Fort de Penthièvre. À l'inverse du parcours d'obstacles axé sur la performance brute, la piste d'audace n'est pas basée sur les capacités physiques. Quelques agrès requièrent, il est vrai, une forme satisfaisante, mais les autres sont plutôt des défis audacieux lancés à nos peurs les plus primaires. Faire face à la hantise instinctive du vide fut ma principale gageure. Non que je sois particulièrement lâche, en tout cas pas plus que la moyenne, mais se lancer face au vide est terriblement éprouvant pour celui qui n'a jamais essayé.
L'instructeur de Penthièvre nous assura que personne n'était jamais tombé en effectuant le « saut de puce » et c'est ainsi que, me portant volontaire malgré mon appréhension, je fus un des premiers à m'élancer avant de chuter lourdement à la réception. Heureusement, je me rattrapai à la plateforme et réussi à remonter à la force de mes bras devant mes camarades inquiétés par cet incident spectaculaire.
Le passage à l'« asperge » ne fut pas moins pénible. Mes craintes étaient irrationnelles mais il fut difficile de me raisonner face à la sourde terreur qui m'envahit les tripes à l'idée de me jeter énergiquement au dessus du vide. C'est néanmoins en prenant conscience de la stupidité de mes inquiétudes que je me lançai, cette fois sans anicroche. J'accomplis ensuite un sans-faute au déroulé complet de la piste d'audace, fort de mon expérience nouvellement acquise dans la gestion des situations de surplomb. Je gagnai ainsi le respect de mon chef de section qui me savait peu à l'aise avec la hauteur et qui jamais ne perdit foi en mes capacités.

Un autre enseignement du stage au Fort de Penthièvre fut l'importance du travail en équipe. La « piste jaune », paroxysme de la difficulté, point culminant de notre séjour sur l'isthme menant à Quiberon, ne s'affronte qu'à plusieurs en combinant intelligence de situation et habileté hors norme. Dotés d'un chef de groupe aux qualités humaines inébranlables, nous fîmes face à tous les agrès avec autant de férocité que de succès. Je retiens particulièrement le mur incliné, qui nous amena à repousser nos limites notamment au niveau des épaules. Étant d'une nature très agile, je m'appuyai sur mes camarades pour me hisser au sommet et les aider à me rejoindre au son de nos fiévreuses clameurs.
Souvent, le collectif est le seul recours et il faut alors faire appel à son prochain pour construire une solution efficace qui utilise les compétences de chacun, de sorte à annihiler nos faiblesses par l'émergence d'une force commune. Cette piqûre de rappel me sembla spécialement judicieuse pour que nous ne nous laissions pas enfermer dans nos individualités, qui ont tendance à s'exacerber dans la préparation du concours d'entrée à l'École.

Le dernier épisode mémorable du stage d'initiation commando, décidément riche en émotions, fut la mission que nous effectuâmes sous un orage tonitruant. Nous devions évoluer sur plusieurs kilomètres en ambiance discrétion, alors que le ciel déversait des torrents de colère et que la foudre toujours plus redoutable se rapprochait pernicieusement de nos équipements métalliques, comme pour nous rappeler l'éphémérité de nos vies. La situation n'étant pas suffisamment périlleuse, nous brancardions un camarade bien loin de compter parmi les plus légers de notre section tandis que l'eau noyait sa civière et lestait nos épaules, nous qui progressions valeureusement contre l'adversité du terrain se jouant de nous et de notre épouvante. Devant les pleurs de certains camarades dont les larmes se mélangeaient avec la pluie poisseuse du Morbihan, je décidai d'apporter un soutien moral décisif au groupe et l'encourageai à persévérer ainsi qu'à refuser de se laisser impressionner par la démonstration de force des cumulonimbus capillatus fulminant leurs dards lumineux sur les traces de nos pas. C'est ainsi qu'après de longues heures de marche éreintante, nous parvînmes à achever l'épreuve la tête haute mais détrempée, suscitant l'immense fierté de notre chef de section.

Mon passage aux écoles me permit également de travailler ma rusticité dont j'ai déjà expliqué qu'elle n'était, chez moi, pas innée. Ainsi, les séjours sur le terrain dans des conditions difficiles furent efficaces pour augmenter mon seuil de tolérance et me faire renouer avec la terre. En effet, le bivouac symbolise à mon sens un certain retour aux racines qu'il est important de protéger à l'époque de la transformation la plus radicale de nos modes de vie. Tolérer un quotidien plus rustique permet de se rapprocher de nos ancêtres et de retrouver d'une certaine façon la simplicité originelle de la vie. Les conditions climatiques furent par contre plus douces qu'à Penthièvre et le froid moins mordant que nous l'espérions, tempérant ainsi la difficulté.
Néanmoins, la promiscuité et la vie en collectivité poussée à son paroxysme ont été autant de points qui m'ont appris beaucoup sur moi-même et sur la nature humaine. J'ai redécouvert certains de mes camarades dans ces conditions de vie champêtres, et j'ai pu nouer des liens différents avec certains d'entre eux. Après quelques jours de bivouac, j'ai senti l'ampleur des progrès que j'avais accompli en si peu de temps. Je n'étais plus gêné par la cohabitation et prenais même goût à cette intimité partagée. Je fus ravis de découvrir que l'ensemble de la section accomplissait les mêmes avancées et que nous nous adaptions presque au même rythme à ce mode de vie primitif. C'est à peine si je ressentais le froid, qui effleurait à présent ma peau sans me mordre.

Le second terrain se prépara donc dans la sérénité. Mon binôme et moi décidâmes d'accroître la difficulté en troquant notre tente pour un simple sur-toît, à l'inverse de la majorité de nos camarades plus sensibles aux conditions climatiques. Nous étions cette fois-ci en section et dûmes faire face à une terrible vague polaire qui épousa sournoisement la forêt. Le premier soir, je décidai d'organiser la recherche de bois sec afin d'allumer un feu pour réchauffer notre moral un peu en berne et permettre à ceux chargés de veiller sur le camp de survivre à la nuit sibérienne. Je me portai d'ailleurs immédiatement volontaire pour assurer un tour de garde nocturne.

Cette séquence éprouvante se conclut sur le « parcours Guyane », épopée chevaleresque à travers la boue. L'excellente cohésion de la section pendant l'épreuve nous galvanisa et nous vînmes à bout des tranchées remplies de fange, en faisant l'effort de rester en mesure de combattre. Notre chef de section avait scénarisé avec précision diverses attaques sur le convoi qui nécessitèrent notre plus grande vigilance, malgré la vase qui se faufilait insidieusement dans nos vêtements et nos armes. J'aidai enfin notre adjudant à se départir de la boue en dirigeant l'excavation de la tourbe qui le ceinturait, suscitant sa profonde reconnaissance.
Ces épisodes ruraux m'apprirent beaucoup sur moi-même et notamment sur mes grandes capacités d'adaptation. Je pris goût à ce mode de vie et son abandon fut un regret.

Le 4e bataillon fut également invité à assister à la remise des sabres et casoars de l'École Militaire Inter-Armes (EMIA) et de l'ESM. Je ne pus malheureusement y assister, me portant volontaire pour faire partie de l'Élément d'Intervention Unique ce jour-là afin de laisser mes camarades profiter de cet événement. En effet, une valeur cardinale de l'engagement que je pus découvrir et faire mienne fut l'abnégation ; accepter de se sacrifier sans attendre de contrepartie. Je décidai donc de participer à la sécurité du camp et des familles invitées plutôt que d'assister à cette belle cérémonie, extrêmement symbolique pour les élèves des Écoles.
Enfin, le 2S, à savoir la commémoration de la Bataille d'Austerlitz, fut un grand moment de liesse collective qui nous permit de sympathiser avec les élèves des écoles autour d'une bataille bon enfant empreinte du souvenir des troupes napoléoniennes qui conduisirent la France à la victoire. 

Le baptême de la promotion me semble suffisamment emblématique pour clore avec honneur le chapitre Coëtquidan. Cette cérémonie bouleversante pendant laquelle nous nous fîmes adouber fut la consécration de notre formation. Ne connaissant pas d'officier, je dus me résoudre à être parrainé par un ancien. J'eus la grande joie de l'être par une admirable aspirante qui avait fait montre de toutes ses qualités humaines et militaires. Après tant d'épreuves, la sensation poignante de devenir officier avec toutes les responsabilités imposées par ce nouveau rôle brûla nos cœurs et nos genoux. Nous chantâmes avec fierté notre magnifique ode en l'honneur de notre parrain de promotion, provoquant des frémissements d'émotion dans le public, avant de défiler magistralement sur la cour Rivoli en suscitant la folle admiration de nos familles émerveillées. Le bal qui suivit fut réjouissant et parfaitement à la hauteur de cette cérémonie qui éblouit comme rarement les saint-cyriens, pourtant peu susceptibles de complaisance.

jeudi 12 janvier 2012

Les enfants de lesbiennes s'en sortent aussi bien que les autres

On apprenait l'année dernière sur NewScientist que « les enfants de lesbiennes surpassent les autres aux tests académiques et sociaux, selon les résultats de la plus longue étude sur les familles homoparentales », réalisée aux États-Unis et dont les résultats venaient d'être rendus publics.

Les enfants, ayant été élevés par des couples de femmes, ont été interrogés à 10 et à 17 ans, et sont tous issus d'une insémination artificielle. L'étude a été publiée dans Pediatrics, qui d'après Wikipedia est « le journal le plus cité dans le domaine de la pédiatrie et possède le deuxième facteur d'impact le plus haut parmi tous les journaux pédiatriques », pour ceux qui seraient tentés de remettre en cause sa crédibilité.
L'échantillon est réduit mais n'est pas négligeable, car c'est quand même 78 foyers qui ont été suivis par les scientifiques (avec un groupe de contrôle de 93 familles hétéroparentales de mêmes situations) depuis la naissance des bébés (entre 1986 et 1992). L'échantillon n'est pas hasardisé car les couples homoparentaux se cachaient encore quand l'étude a commencé : elle a donc du se baser sur le volontariat. 17 ans plus tard, les résultats permettent néanmoins de dégager des tendances.

samedi 7 janvier 2012

Il n'y a pas que la bourse qui chute


Il n'y a pas que la bourse qui chute...
Il n'y a pas que les capitaux qui fuient...
8 millions de pauvres en France.
55 millions de témoins.
Ne soyons pas complices.
2012 doit être l'année du changement.

La Ligne

Je me souviens si bien de ce mardi.
Nous avions quitté la base navale d'Olavsvern depuis 8 jours. Les premières heures avaient été incroyables, alors que nous longions les côtes glacées du comté de Troms. Habitué que j'étais à la grisaille parisienne, je m'étais émerveillé devant le spectacle des montagnes enneigées se reflétant dans l'eau des petits ports de pêche qui parsemaient la région, vestiges d'un temps que je n'avais pas connu. Je les avais contemplés sagement, emmitouflé jusqu'aux oreilles dans mon accoutrement grotesque, qui s'était rapidement avéré être une source d'amusement inépuisable pour l'équipage. Je ne m'en étais pas offusqué, sachant pertinemment que je ressemblais à un bibendum orange sous amphétamines. Je ne quittais pas vraiment mon poste d'observation, d'abord parce que je n'avais pas grand chose d'autre à faire, mais également parce que j'avais compris que ma démarche évoquait à tous celle d'un manchot empereur sous l'emprise de l'alcool. J'avais donc profité de la beauté des massifs norvégiens sous une brise moins désagréable que dans mes prévisions, aux côtés d'un petit blond à la beauté particulière qui s'était assis à quelques mètres de moi quand nous avions levé l'ancre. Nous n'échangeâmes pas un mot - je n'aurais de toute façon pas pu car je ne connaissais rien au russe, mais il semblait un peu perdu, comme moi, et d'une manière assez inexplicable j'eus l'impression que nous nous réconfortions mutuellement.